

SOMMAIRE DE L'ARTICLE:
- D'où vient le Kawaii ?
- Comment se dit kawaii ?
- Voyage Immersif au Pays du Kawaii
- Les Premières Manifestations du Kawaii dans l'Art : L'Époque Heian (794-1185)
- Les Emaki
- L'Époque Edo (1603-1868) : Les Netsuke
- Les Estampes Ukiyo-e
- L'Ère Meiji (1868-1912)
- L’Ère Taishō (1912-1926)
- L'Ère Showa (1926-1989) et les Magazines Shōjo
- La Culture Populaire et les Personnages Kawaii
- L'art du Kawaii : un acte qui soigne et guérit
D'où vient le Kawaii ?
Le concept de "kawaii", qui signifie "mignon" ou "adorable" en japonais, est omniprésent dans la culture japonaise contemporaine.
J’ai souvent lu dans des blogs que le mouvement kawaii remonte aux années 70, et il d'ailleurs souvent associé à la pop culture japonaise contemporaine.
Mais il n’en est rien !
Ses racines remontent bien avant les mascottes modernes et les personnages populaires comme Hello Kitty !
Le terme et la sous-culture qui va avec se sont effectivement popularisés dans les années 70, et
d'ailleurs, ils n’étaient pas toujours bien perçus par les anciennes générations, très traditionnelles, qui pouvaient estimer que tout cela était bien frivole...
Seulement, quand les jeunes filles qui s’exclamaient « Kawaii !» à la vue d’un chaton angora blanc aux yeux bleus, sont elles-mêmes devenues adultes, puis grands-mères, en transmettant cette influence…
Un courant de kawaii avait alors profondément impacté la société japonaise toute entière, et d’une contre-culture, le mouvement kawaii est devenu une composante de la culture à part entière.
Comment se dit Kawaii ?
Pas si évident si on n’est pas japonophone !
Voici deux astuces :
1.La version japonophone pour les « purs » (et pour se la péter un
peu devant ses potes fans du Japon ^^) :
On prononce 3 syllabes :
KA (comme CA de « cacophonie »)
OUA (comme le « ouah » du chien, ou vous quand vous admirez un chaton trop kawaii )
i en appuyant bien sur le son « iiii» à la fin (comme "iii", une souris!!!!)
donc : « KA-WA-iiiii »
2.La Version Française/Internationale (pour les non japonophones)
L’astuce : prononcer Kawaii, comme pour l’île d’Hawaï
Imaginons qu’on écrit « Kawaii » de cette manière :
« Kawaï », juste en remplaçant le double « ii » par un « ï »
Phonétiquement, ça donne :
« KA-OUAÏE »
(Là, imaginez que le chaton vous a griffé au beau milieu de votre cri d’admiration, pas si kawaii que ça la bestiole !)

« KA-OUAÏE »
Voilà ! J’espère qu’avec ces quelques astuces, vous saurez désormais prononcer le mot « Kawaii » à la perfection et
en toutes circonstances !
Voyage Immersif au Pays du Kawaii
C'est lors d'un voyage au Japon que j'ai découvert que les racines du kawaii remontent bien avant l'époque moderne.
En visitant des musées et en explorant l'art japonais, j'ai appris à quel point la mignonnerie était intégrée dans les représentations esthétiques à travers les siècles.
Des estampes ukiyo-e de l'ère Edo au quartier de Harajuku à Tokyo ( un Highlight...), où la mode kawaii est omniprésente, le kawaii est profondément enraciné dans la culture japonaise.
Pour comprendre l'origine du kawaii, il est essentiel de se plonger dans l'histoire de l'art japonais, où l'esthétique de la mignonnerie (cuteness aesthetics) a évolué au fil des siècles.
Les Premières Manifestations du Kawaii dans l'Art : L'Époque Heian (794-1185)
Les premières manifestations de l'esthétique kawaii peuvent être trouvées durant l'époque Heian, dans la littérature et l'art de cette période, notamment dans "Le Dit du Genji", où Murasaki Shikibu décrivait des traits de caractère et des apparences physiques considérés comme mignons, à travers l'expression kao hayushi (顔映し) qui voulait dire "visage rougissant", c'est à dire embarrassé, timide ou pas très à l'aise. Je le traduirais personnellemnt par "pataud et attendrissant".
Car le côté empité qu'on reproche parfois aux représentations kawaii, comme Hello Kitty et son regard que beaucoup considèrent comme vide, et le personnage, sans consistance réelle.
Je pense pour ma part que les caractéristiques de construction de personnages telles que le côté presque neutre, comme une absence de personnalité distincte et marquée, aussi bien sur le type physique, très symétrique, et aussi un peu passe-partout, que les traits de caractères représentés qui font qu'on en arrive même à aimer les quelques défauts du personnage...quand ils en ont, et qui ne sont jamais notables...
...Que tout cela, que ce type de représentation est une surface, non, un tremplin, de projection de l'égo, pour s'identifier dans un idéal.
Majoritairement les gens préfèrent-ils s'identifier à Harry ou à Ron? Ce dernier n'a t-il pas davantage de personnalité, comme tous les personnages secondaires de la Saga finalement? (Peace aux Potterheads, ce n'est qu'une analyse et je suis de votre côté!)
Préférez-vous Mickey à Donald?
Pourtant, ce que nous verrons un peu plus loin, l'art kawaii, va progressivement prendre une dimension de plus en plus subversive, ce qui va rendre le phénomène encore plus intéressant.

Portait de Murasaki Shikibu
Murasaki Shikibu. Kakemono de Ogata Korin (1658-1716), peinture sur soie (détail). Collection privée.
© Deagostini/Leemage
Les Emaki
Les emaki, ou rouleaux peints qui remontent à l'époque Heian, présentent des éléments
d'art kawaii. Les scènes de la vie quotidienne et les animaux anthropomorphisés dans ces rouleaux montrent des expressions et des postures qui préfigurent l'esthétique kawaii.
C'est en Chine qu'on a inventé le papier, aux alentours du 1er siècle de notre ère, les emaki sont donc d'influence chinoise, ce pays ayant été une grande source d'inspiration pour l'Art Japonais jusqu'à l'époque moderne. On trouvera d'ailleurs dans l'Art Chinois traditionnel de nombreuses représentations animalières qui peuvent esthétiquement être assimilées au kawaii.
A travers les Emaki on sent arriver peu à peu un certain art de la caricature, de la critique humaine et sociétale.
Lorsque j'ai touché ma toute première paie, comme décoratrice d'intérieur chez un architecte, à ma sortie des Beaux-Arts, en 2006, j'ai eu envie de garder un souvenir mémorable de ce moment symbolique et de "craquer"une partie de mon salaire dans une œuvre d'art...

J'ai alors acheté, pour deux cent euros à l'époque, ce qui était une véritable fortune pour moi, cette peinture à l'encre de Chine d'un Professeur des Beaux-Arts de Pékin, qui représente une sorte d'écureuil ou de petit rongeur, très kawaii
Pour revenir aux emaki, voici quelques images qui rappellent l'esthétique kawaii :

attribué à Toba Sōjō
Choju-Jinbutsu-Giga
Littéralement "Caricature d'animaux-personnes", le Choju-jinbutsu-giga est une série de quatre rouleaux, peints entre le 12 ème et le 13 ème siècles, et conservés au temple Kōzan-ji de Kyoto

Singe, Renard, Lièvre et Chat

Lapins et Grenouille
L'Époque Edo (1603-1868) : Les Netsuke
Les netsuke sont d'adorables petites sculptures en bois ou en ivoire, qui étaient utilisés comme contrepoids pour les objets suspendus aux ceintures des
kimonos. Ces petites œuvres d'art détaillées incluaient des figures animales et humaines dans des poses et expressions mignonnes et humoristiques, incarnant une forme ancienne de l'esthétique kawaii.

signé Gyokusai
Moineau
Deuxième moitié du XIX ème siècle, 4,2 cm de longueur.
Netsuke en ivoire d'éléphant, yeux en verre coloré.
Oriental Art Auctions, tous droits réservés.

Chien
Epoque Edo, fin XVIIIème, début XIX ème. 4 cm de hauteur.
Antiquités Cristine Ortega et Michel Dermigny, tous droits réservés

Signé Eiichi
Cerf
Fin de l'Epoque Edo, 4,5 cm de hauteur.
Yeux en corne blonde avec pupilles en corne brune.
Antiquités Philippe Glédel, tous droits réservés

Caption
Le Camelot Dompteur de Chiens
Époque Meiji (1868-1912), longueur 3,5 cm
Camelot essayant d'éduquer des chiens: l'un fait le beau, coiffé d'un chapeau, en face de lui tandis qu'il essaie de faire saluer le second
Asian Art, tous droits réservés
Les Estampes Ukiyo-e
A mesure qu'on se rapproche de l’Ère Meiji, l'expression artistique retrouve une forme de liberté dans les formes picturales et les modes de retrpésentation.
La force des traits de caractère, notamment, prend un vrai tournant dans les estampes ukiyo-e, qui incluaient majoritairement des représentations de beaux paysages, des scènes de théâtre kabuki, et des courtisanes.
Cependant certaines estampes mettaient également en avant des personnages enfantins et des animaux assez touchants, quoique parfois assez mordants également, contribuant tout à la fois à la tradition de la mignonnerie et de la caricature dans l'art japonais.
Je possède moi-même quelques estampes qui relèvent de cette catégorie, dont voici des détails, sans commentaires :




L'Ère Meiji (1868-1912)
Avec l'ouverture du Japon à l'Occident durant l'ère Meiji, les artistes japonais ont intégré des éléments de l'art occidental dans leurs œuvres, notamment des
formes simples et des couleurs vives, caractéristiques essentielles de l'esthétique kawaii.
J'ai en ma possession également des exemples de l'évolution de cet art pictural en dessin et plus particulièrement en peinture, dont voici quelques reproductions:

Cerf
Epoque Meiji, 1884

Renard
Epoque Meiji, 1884

Sangliers
Epoque Meiji, 1884

Poissons Rouges
Epoque Meiji, 1884
L’Ère Taishō (1912-1926)
Pendant l'ère Taishō, la production de jouets et de poupées mignonnes a augmenté. Les poupées Kewpie, importées d'Occident, ont été adoptées dans la culture japonaise, influençant ainsi le développement de l'esthétique kawaii.

Poupée Kewpie, 1912
Provenant d'une bande dessinée de Rose O'Neill, les poupées Kewpie sont d'abord fabriquées en papier, puis en biscuit (comme sur cette photo), et enfin en celluloïde et différents matériaux composites comme le caoutchouc.
L'Ère Showa (1926-1989) et les Magazines Shōjo
Les magazines shōjo, ou shōjo manga 少女漫画 destinés aux jeunes filles, (shōjo pouvant être traduit plus ou moins par "jeune fille"), ont joué un rôle crucial dans la diffusion de l'esthétique kawaii.
Avec des illustrations de jeunes filles aux grands yeux et aux expressions adorables, ces magazines ont établi un standard visuel qui allait se répandre dans toute la culture populaire.
Les bandes dessinées pour jeunes garçons sont les shōnen manga 少年

Shōjo Club 1924
Cette couverture de novembre 1924 est d'une grande délicatesse dans la représentation de la jeune fille en fleurs. On y pressent l'innocence associée au kawaii

Shōjo Club 1953
Dans les années 50, après la Seconde Guerre Mondiale, on sent très clairement l'influence occidentale et américaine dans les représentations des mangas

Cendrillon en Manga
Dans ce même numéro de 1953, dont je viens de vous montrer la couverture, on trouve une adaptation du dessin animé américain Cendrillon de Walt Disney

Shōjo Club 1953
Un autre numéro de 1953, dans lequel on retrouve des bandes dessinées mettant en action les Kewpies américains

Extrait Shōjo Club 1953
L'intérieur est rempli de bandes dessinées. Le dynamisme du trait et le style de dessin ne sont pas sans rappeler les comics américains de la même époque

Extrait Shōjo Club 1953
Toujours dans le même numéro, ces adorables écureuils anthropomorphiques, sortes d'équivalents de Tic et Tac en version féminine, débordent de "cuteness" et de kawaii

Shōnen Manga 1958
On reconnaît sur cette couverture le dessin arrondi et spécifique à Ozamu Tezuka, qui a marqué toute ma génération avec Astro Boy et les productions de la Toei Animation
La Culture Populaire et les Personnages Kawaii
La période post-Seconde Guerre mondiale a vu l'explosion de personnages kawaii, avec des entreprises comme Sanrio qui est à l'origine d'icônes culturelles telles que Hello Kitty, Patty&Jimmy (1974), Little Twin Stars et My Melody (1975) Cinnamoroll (2001) et Chococat.
Ces personnages ont dominé la scène commerciale et influencé l'art et le design contemporains.
La philosophie corporate interne de l'entreprise Sanrio depuis sa création en 1960 par Shintaro Tsuji est "Minna Nakayoku", qu'on pourrait traduire par "Bien s'entendre tous ensemble", avec la notion d'amitié ("Nakayoku"), d'harmonie.
Ceci associé à leur vision : "One World, Connecting Smiles" ("Un seul monde, connectons les sourires") et la notion de répandre du bonheur, de ne pas être isolé, et de pouvoir parler de ses émotion, la joie tout autant que la peine ou la douleur.
L'art du Kawaii : un acte qui soigne et guérit
On est bien obligé de sortir des préjugés du type "Monde de Bisounours" pour pouvoir comprendre le phénomène, et de constater que le mouvement kawaii n'a rien de mièvre, mais qu'il y un véritable projet sociétal, sinon politique, associé à cette notion.
Elle vise avant tout le savoir-vivre ensemble, l'équilibre et l'harmonie entre les individus, et ne fait pas abstraction des difficultés de la vie à surmonter pour autant.
Dans mon analyse, il s'agirait davantage d'un ensemble de règles tacites, (au sens d'un cadre structurant et apaisant) et de comportements rassurants qui facilitent le bien-être personnel par une fluidité du "Être et Vivre Ensemble".
Sur un plan psychologique, l'idée n'est pas à débarquer car le projet du kawaii, si on reprend l'idéologie de Sanrio en tous cas, peut être effectivement vu comme une forme d'action au sens performatif du terme, que je relierais à la résistance non-violente.
Il ne s'agit donc pas d'éluder ni de nier la notion de la violence à mon sens, mais plutôt d'y répondre et d'y apporter une forme de remède.
Conclusion
Les racines du kawaii dans l'art japonais sont profondes et variées, remontant à plusieurs siècles et évoluant à travers différentes périodes historiques. Du raffinement délicat de l'époque Heian aux mini sculptures netsuke, et des estampes ukiyo-e aux personnages de l'ère Showa, l'esthétique kawaii et l'état d'esprit ont depuis bien longtemps été une partie intégrante de l'art, et de la culture japonaise.
Aujourd'hui, le kawaii continue d'influencer l'art et le design non seulement au Japon, mais aussi dans le monde entier, témoignant de sa puissance de suggestion, en tant que message qui n'est pas sans une certaine connotation subversive.
C'est ce que nous verrons plus en détail dans l'article "L'influence du Kawaii dans l'Art Contemporain", qui parle de l'impact du kawaii à l'époque contemporaine dans l'art et la culture.